Le Véritable Saint Genest

Quand Rotrou consacre une pièce au saint patron des comédiens, Genest, il ose ce que personne jamais n’avait encore osé. Il commence (150 ans avant la Révolution) par mettre le mérite bien avant la naissance, défend le doute et la « liberté de croire » et, pour la première fois, fait de Genest un saint non pas bien que comédien, mais PARCE QUE comédien. Tout ceci au temps des talons rouges et quand on refusait aux comédiens le cimetière...
Parce que le monde n’est qu’un gigantesque théâtre, il multiplie les mises en abyme et nous présente des empereurs qui jouent leur rôle comme des comédiens qui répètent, font répéter, prennent une voix venue du ciel pour une blague du souffleur et parlent de leur métier... Avec des vers d’une fluidité, facilité et simplicité jouissive.
Incroyable que ce chef d’œuvre du théâtre baroque français n’ait pas été joué depuis plus d’un quart de siècle ! Venez découvrir cette véritable déclaration d’amour aux comédiens ET au théâtre, dans ce qu’il y a de plus concret et de plus pratique.
Mais le propos de Rotrou va plus loin encore. Avec une incroyable finesse et sans qu’il y paraisse, il joue des mises en abyme pour opposer en tout Adrian & Genest, le personnage et le comédien qui l’incarne, celui (protestant ou janséniste) qui affirme la prédestination, n’hésite jamais et a la ligne directe avec le Ciel et celui (catholique) qui tout au contraire incarne la grâce suffisante, ne cesse jamais de douter et aime avant tout la concrétude et l’incarnation: sa vie de comédien, sa vie de troupe et sa liberté.
Il ne se contente donc pas de remettre en question un monde articulé sur la naissance et l’intolérance: il fait très habilement comprendre que l’Eglise, qui depuis Tertullien condamne le théâtre, fait fausse route. Dans une parfaite ‘défense et illustration’, Rotrou établit un parallèle limpide entre la grâce, le don, le talent, et le rôle à jouer. Et il est important de souligner que ce n’est pas en déclamant son texte et donc en incarnant Adrian que Genest se converti, mais en écoutant ce qu’incarne un autre acteur, Lentule, qui lui ne se convertira pas. Une façon de bien montrer qu'une conversion reste toujours un mystère.