Féerie générale

Dans un ancien intérieur bourgeois délabré, deux intrus-explorateurs se rencontrent. Son truc à lui, c'est de s'infiltrer dans les habitations abandonnées pour y exhumer des récits, des vies imaginées à partir d'objets laissés là, sous les bâches et les vieux cartons. Son truc à elle, c'est la musique. Ça tombe bien car il y a un piano dans cette maison.

Tous deux vont peu à peu s'accorder pour inventer ensemble une forme hybride, à la croisée du conte improvisé, du récital foutraque, du théâtre d'ombres et de la conférence gesticulée. Cordiale au début, leur relation évoluera à mesure qu'ils créeront ensemble un univers insolite où se mêleront leurs obsessions et leurs désirs. Surviendra progressivement au plateau la naissance d'un imaginaire commun, où les formes visuelles et sonores se connectent entre elles, se répondent et s'enrichissent les unes les autres.

Nous ferons ainsi la rencontre de toute une galerie de personnage, ayant en commun une certaine aversion pour l'existence marchandisée que nous impose le monde contemporain. Roxane, neuf ans, se désintéresse des pratiques de spéculation financière enseignées à l'école primaire, et préfère passer ses journées à peindre le cheval du voisinage. Yannig, éreinté par le management japonais qui sévit dans son entreprise, se passionne pour les recommandations mondaines de Nadine de Rotschild et le clubbing. Charlotte et Wilbourne, les deux amants imaginés par Faulkner, s’aiment éperdument et s'installent dans une cabane aux abords sauvages d’un lac américain. D'une façon ou d'une autre, chacun se trouvera poursuivi - et quelquefois rattrapé - par les multiples injonctions à réduire son existence aux lignes et colonnes d'un tableur Excel.

En filigrane apparaîtra l'un des objets essentiels de notre modernité : la fourchette, instrument de mise à distance du réel. Et à travers la fourchette se posera le grand mystère de notre temps : dans ces lofts immenses et magnifiques au cœur des grandes villes de la planète, parmi les lapins et les toons qui peuplent leurs songes, les traders rêvent-ils aussi des professeurs de philosophie dont ils buvaient les paroles en classe de terminale ?