Débordement

C’est l’histoire d’une jeune femme qui cherche une rencontre digne des histoires épiques, des grandes batailles dans lesquelles parfois les liens les plus forts sont ceux que l’on partage avec son meilleur ennemi. Elle est prête à tous les sacrifices pour faire exister un face à face superbe, un rendez-vous unique. Mené entre le « vous », et le « tu », Débordement est une longue apostrophe, une tentative de main tendue.

Il y a le public en première cible, à qui tantôt le personnage se confesse et que tantôt il confronte. Et puis il y a ce « tu », cet autre qu’on ne parvient pas à dessiner précisément mais qui se révèle peu à peu. Le personnage est semblable à ces êtres zonant dans les rues très tard dans la ville, et qui vous interpellent au détour d’une ruelle, avec une histoire à vous raconter — un dealer ou une diseuse de bonne aventure prête à tout pour vous garder un peu avec elle, prête à tout pour vous parler encore un peu. Que ce soit dans les grandes avenues de Montréal ou dans les vieilles rues européennes, Débordement raconte toutes ces histoires qui nous sont projetées comme si la vie en dépendait, et dans une certaine mesure, souvent la vie dépend des histoires qu’on s’échange comme on s’embrasse secrètement ou comme on se lance des promesses folles à ces heures ambiguës du jour et de la nuit.

Et dans cette traque qu’elle mène seule (l’autre n’étant jamais que celui qu’on apostrophe mais qu’on ne trouve jamais), la jeune femme convoque des figures amies comme camarades de route : Don Quichotte à l’aventure, le Caravage dans les faubourgs italiens, Ulysse de retour, Dark Angel sur les toits de Seattle, Brecht en embuscade — tout un peuple de héros, de fantômes familiers pour la guider dans son errance solitaire mais solidaire.

Au cœur de Débordement, il y a la puissance de la parole (et sa limite) : le besoin de tout dire, de tout condenser, de parler pour se tenir en vie, de vouloir tout raconter, tout se souvenir, au risque de se perdre, de porter la digression poétique et de retomber sur ses traces. Il y a l’envie de porter un flot ininterrompu avec un personnage qui entre en scène comme s'il entrait dans un ring.